Il se doutait bien que l'Alaska n'était pas la porte d'à côté, mais le pressentiment qui trottait dans son esprit lui rappelait avec insistance que le trajet était anormalement long. Ce pressentiment ressemblait à un jeune retraité bedonnant, affublé d'un bob vert kaki et chaussé de sandales Geox. Il brandissait une pancarte sur lequel il était écrit : "Je m'doute bien qu'l'Alaska c'est pas la porte d'à côté, mais bon." Dans l'esprit de Manouël, le vers du doute commença à grignoter la pomme de la paresse.

C'est donc l'esprit criblé d'incertitudes qu'il ouvrit lentement ses paupières, pour les refermer aussitôt. Son cœur s'éveilla en sursaut, puis se mit à bégayer. Les paupières de Manouël se levèrent lentement, dévoilant des prunelles saisies d'effroi. La main tremblante, il retira les bouchons de ses oreilles, et le silence se fit piétiner par un brouhaha assourdissant. Une scène de chaos se reflétait dans ses pupilles. Des hôtesses arpentaient les couloirs, le front suant et le regard affolé, tentant de calmer les passagers en proie à ce qui ressemblait à une crise d'hystérie. Deux rangées devant lui, une mère éplorée enlaçait sa fille, l'abreuvant de belles paroles et de mots d'espoir. Un prompt coup d’œil sur la droite lui indiqua que Kaëzar était éveillé. Et c'est à cet instant que Manouël remarqua le masque à oxygène qui se balançait devant ses yeux. Il jeta un œil sur le hublot, et comprit. Une nuée grisâtre obstruait le décor et enveloppait peu à peu l'habitacle de sa silhouette insidieuse.

L'avion fut pris de convulsion, et les cris redoublèrent d'intensité. Les passagers entendirent alors une énorme explosion. L'avion parut descendre d'un étage, chavira, puis tomba en piqué.

Manouël et Kaëzar se dévisagèrent, le souffle coupé par la violence qui se déchaînait devant leurs yeux. Ils ne purent échanger un mot, mais dans leurs regards se lisait les affres d'une peur insoutenable, et dans l'arrière fond, une petite flamme, qui soufflait : "Merci. Merci d'avoir égayé ma vie."